Interview

Innovation civique : Fabien Aufrechter bouscule les codes

23 avril 2025 • By

Rencontre avec Fabien Aufrechter, maire de Verneuil-sur-Seine

Fabien Aufrechter, 33 ans, est maire de Verneuil-sur-Seine, ville des Yvelines de quelque plus de 16000 habitants, située à 40 kilomètres de Paris. Après une campagne dure à bien des égards, il a été élu maire en juillet 2020, durant la pandémie de Covid, sous l’étiquette de La République En Marche (LREM) avec le soutien du Mouvement Démocrate (MoDem). Il est par ailleurs VP Stratégie et innovation chez Vivendi, après être passé par le Groupe Havas. Très connecté, il est actif sur les réseaux sociaux TikTok, X, Instagram et Facebook et a récemment fait le buzz en participant à l’émission « Qui est l’imposteur ? » de l’influenceur aux 19 millions d’abonnés, Squeezie. Partisan d’une simplification du millefeuille administratif, il milite également pour la formation des élus et une plus grande connaissance des enjeux du numérique par les politiques et par la société civile.

A person in a suit

AI-generated content may be incorrect.

Portrait de Fabien Aufrechter

CT : Pouvez-vous nous parler de vous et de votre parcours ? 

F. A. : Je m’appelle Fabien Aufrechter, j’ai 33 ans et je suis un enfant de Verneuil-sur-Seine où j’ai grandi. J’ai d’abord été scolarisé enfant, dans l’école élémentaire juste en face de la mairie. Avant de rentrer au collège Jean Zay, toujours à Verneuil-sur-Seine. Je suis ensuite allé au lycée à Poissy avant de faire une classe préparatoire littéraire à Saint-Germain-en-Laye. Puis je suis parti en Erasmus à Trinity College à Dublin, en Irlande, avant de terminer mes études à la Sorbonne avec un master d’Histoire puis un master de communication au Celsa*. Je ne suis pas né dans un milieu politique et je ne rêvais pas de devenir maire.

La campagne a été difficile, face à une équipe en place depuis des décennies, et elle a été interrompue par la pandémie. Le premier tour a eu lieu le 15 mars 2020, jour de l’annonce du confinement, ce qui nous a empêché de faire une véritable campagne de second tour. Finalement, j’ai été élu le 28 juin, juste après le déconfinement, avec seulement 32 voix d’écart. Cette expérience m’a appris qu’en démocratie, chaque vote compte.

CT : Vous étiez-vous un peu frotté à la politique avant cela ? 

F. A. : Je me suis intéressé très tôt à la politique. Encore enfant, je regardais les débats politique à la télé. Puis à 10 ans, j’ai été marqué par l’arrivée du Front National au deuxième tour des élections présidentielles de 2002. Mais je ne me suis pour autant pas engagé directement avant 2019.

Cela dit, j’étais tout de même un observateur éclairé : mon Erasmus à Dublin en 2012-2013 a coïncidé avec la présidence irlandaise du Conseil européen ainsi qu’avec la Convention citoyenne irlandaise qui a lancé et assumé le lancement de plusieurs grands référendums constitutionnels. A l’époque, j’ai pu observer de près ce moment politique passionnant notamment avec les référendums sur la légalisation de l’avortement et du mariage homosexuel. 

Puis à mon retour en France, j’ai créé et présidé une association (Débattre en Sorbonne) puis côtoyé notamment la scène Civic Tech. Tout cela m’a permis de développer ma culture politique. Mais il y a un monde entre être un observateur et se lancer soi-même en campagne !

CT : Dans cette campagne municipale en 2020, qu’est-ce qui a fait la différence selon vous ?

F. A. : Quand je décide de me lancer dans la campagne à l’automne 2019, mon nom fuite du jour au lendemain dans la presse. Malgré mon ancrage à Verneuil-sur-Seine, à l’époque, je ne prends pas véritablement part à la vie communale, n’y suis pas connu et n’ai pas de liste. 

Dans ce contexte-là, je décide de faire une campagne géante de porte-à-porte, pas pour parler aux gens d’un programme mais pour les écouter. « Si vous deviez définir Verneuil en un mot, ce serait quoi ? Qu’est-ce que vous pensez du projet de contournement de la ville ? Et du projet d’urbanisation de la pointe de Verneuil ? Comment trouvez-vous nos écoles ? Que manque-t-il à Verneuil ? », voilà, le type de questions assez ouvertes que nous avons posées. A la fin du questionnaire, nous avons demandé aux habitants s’ils acceptaient de nous partager leurs coordonnées et la plupart l’ont fait. Je vais alors occuper plusieurs week-ends et soirs à me constituer une base de données.

Puis, en janvier, quand tous les candidats se déclarent et annoncent leur programme, moi je décide de les laisse parler et de rester en retrait. Puis une fois qu’ils se sont tous exprimés, je le fais moi-même en publiant les résultats de mon « sondage ». Or ceux-ci ne sont factuellement pas en adéquation avec ce que les autres candidats ont annoncé. Je construis mon programme en utilisant les remontées du terrain en arrivant même à affiner par quartier. 

Nous étions six candidats. Prime au sortant faisant, je n’avais aucun espoir d’être en tête. Et le 15 mars 2020, je suis deuxième. C’est alors que nous nous accordons avec le troisième candidat pour une fusion de nos listes, ce qui nous donne un nouvel élan. 

Mais depuis la veille, nous sommes tous entrés en confinement. D’ailleurs, j’ai moi-même attrapé le COVID-19. Des personnes tombent gravement malades autour de moi et par moments je pense vraiment à abandonner. 

Au bout de quelques semaines, le temps que je récupère, je me rends compte que les informations pratiques ne circulent pas assez dans la ville. Est-ce que les commerces sont ouverts ? Quand et où peut-on se déplacer ? Alors, dans ce contexte post-électoral, et sans arrière-pensée, je lance une boucle WhatsApp d’information micro-locales où j’invite nos proches puis ceux qui nous suivent à nous suivre. Dans le même temps, je lance des Facebook Live qui rencontrent du succès étant donné que tout le monde est cloitré chez soi. 

Le président de la République annonce plusieurs semaines après que l’élection se tiendra le 28 juin. Je repars en campagne, mais plus avec du porte-à-porte, trop risqué à cause de la pandémie. La campagne devient principalement digitale : nous surfons sur les Facebook Live que nous avions créé initialement vraiment pour de l’information pratique. 

Très honnêtement, je n’aurais pas parié gagner cette élection. Je n’étais pas formé. Et quand j’ai été élu, du jour au lendemain, je me suis retrouvé maire avec les clés du bureau d’une équipe municipale sortante qui a refusé toute passation. Le budget avait déjà été voté, des travaux avaient été lancés et la veille de la rentrée scolaire, nous avions encore des tranchées devant les écoles. Avec en plus une grande partie des agents de la ville qui n’étaient pas à leurs postes respectifs : malades, en vacances, plus tard confinés…

Car ensuite, il y a eu le reconfinement, les centres de vaccination, les vaccinodromes. Et au moment où la pandémie commence à être derrière nous, il y a eu l’assassinat de Samuel Paty à Conflans, non loin de Verneuil. 

Le début de mon mandat a vraiment été difficile et je milite maintenant pour qu’il ne soit plus possible de laisser démarrer des élus sans qu’ils n’aient reçu un minimum de formation. Car les élus sont les seuls à prendre autant de responsabilités sans qu’il y ait des formations obligatoires. Avec mes élus, nous avons dû prendre l’initiative de nous former. J’ai aussi eu la chance d’être accompagné par différentes personnes, notamment Pierre Cardo, l’ancien député-maire de Chanteloup. Alors voilà, un début de mandat chaotique, qui en fait ne bascule qu’à mi-mandat, au moment où j’arrive enfin à mettre sur la table de vrais projets. C’est d’ailleurs lorsque l’action concrète a vraiment commencé que tout est devenu vraiment passionnant. 

CT : Après votre élection, avez-vous fait du participatif à Verneuil ?

F. A. : Ma première action politique en tant que maire a été d’organiser avec deux autres communes une consultation citoyenne concernant un projet prévu de contournement routier de notre ville. Le département des Yvelines envisageait de couper en deux notre forêt en en détruisant une partie ainsi que plusieurs terres agricoles. Le projet était figé et le Département estimait être soutenu par les habitants, d’où le lancement de cette initiative.

Cette consultation n’avait aucune valeur juridique mais elle nous a permis d’avancer sur ce sujet en ayant connaissance de ce que les gens souhaitaient. Puis nous avons notamment mis en place des conseils de quartier avec des référents citoyens, un conseil des jeunes et un budget participatif…

En complément d’actions participatives, les espaces d’échanges et de débat nous permettent d’expliquer la difficulté qu’il y a à gérer une ville à cause du millefeuille administratif et de l’éclatement des responsabilités selon les sujets. 

Je donne souvent l’exemple suivant – un dimanche durant le marché, une dame âgée est venue me voir pour me signaler qu’il y avait un chat écrasé sur le boulevard. C’était le début de mon mandat : moi, j’ai répondu gentiment « Ne vous inquiétez pas Madame, nous allons nous en occuper ». Et là, non loin de moi, se trouve mon collègue maire d’une ville voisine qui m’a entendu et qui s’est interposé un peu moqueur en déclarant : « Madame, il est où exactement ce chat ? Parce que s’il est sur la voirie, c’est au Département de le ramasser, s’il est dans le caniveau c’est à l’intercommunalité de le faire, s’il est sur le trottoir c’est à la ville et s’il est sur le bas-côté c’est au conseil syndical de la copropriété de s’en charger ».

Personne ne sait qui fait quoi, et cela, ce n’est pas possible. Donc, faire participer pour expliquer, c’est important. Pourquoi je ne peux pas changer tout de suite les lampadaires ? Pourquoi, lorsqu’ il y a un problème d’assainissement, je ne peux pas m’en occuper ? Pourquoi je n’ai pas la main pour gérer les routes… C’est très frustrant parce qu’on se sent impuissant.

Et c’est d’ailleurs le bilan de ma petite histoire : à qui revenait de s’occuper du chat in fine ? Eh bien, le dimanche, comme il n’y a personne qui travaille, la compétence de proximité, c’est le maire. Donc, c’est moi qui ai demandé à un agent d’aller ramasser le chat. Et après, qu’est-ce qu’on devait faire du chat ? Eh bien, on ne savait pas non plus et la réponse n’était pas évidente…

CT : Avez-vous un mode de fonctionnement particulier au sein de votre conseil municipal ?

Un maire, c’est un chef d’orchestre parce qu’une municipalité c’est un collectif. Et un chef d’orchestre a besoin que tout le monde travaille en collectif. Bien entendu, nous débattons et je suis le premier parfois à changer d’avis ; mais au bout d’un moment, il faut décider. Et on ne tranche pas à trente-trois. La structure des conseils municipaux est devenue caduque selon moi. Majorité et opposition devraient, comme dans d’autres systèmes, étrangers, travailler ensemble au service de leurs administrés, dans l’action et en allant dans le même sens. Mais le système actuel ne laisse à l’opposition que la polémique et la politisation pour exister. Ce que je regrette.

CT : Qu’attendez-vous des réseaux sociaux, vous qui y êtes très présent ?

F. A. : Les réseaux sociaux permettent d’être transparent et de pouvoir s’exprimer auprès d’un grand nombre de citoyens. En 2020, je suis rapidement allé sur Facebook parce que c’est plutôt là que cela se jouait au niveau de ma ville. Puis, petit à petit je me suis développé là où les gens allaient, sur Instagram puis TikTok.

Cela peut sembler paradoxal mais je pense que la politique doit s’extraire de la pure politique verticale. Depuis le début, j’ai donc tenu à adopter de nouveaux formats, du Facebook Live en mode talkshow qui a bien fonctionné en 2020-2021, à mon passage chez Squeezie qui a été un « one shot » mais m’a donné beaucoup de visibilité. Le retour a été globalement très positif, y compris parmi mes administrés. Tout cela m’a d’ailleurs permis d’échanger avec d’autres élus, des ministres et des chefs d’entreprises et de valoriser cette fonction de maire. 

Ma difficulté est parfois de jongler entre mes casquettes donc je réserve certains réseaux plutôt pour ma vie professionnelle : mais quand je communique sur LinkedIn avec ma casquette professionnelle, je me rends compte qu’il y a pas mal d’habitants de Verneuil qui sont passionnés par la tech et qui vont rentrer en contact avec moi par cet angle-là. C’est d’ailleurs ce qui m’a emmené à créer par exemple un forum tech dans ma ville : Inno’Verneuil.

Mais ce qui m’importe le plus en tant que maire, forcément, c’est la communication de la ville. Et pour cela j’ai créé un site internet 100% accessible pour apporter un guichet unique et tous les accès aux services. J’ai également fait publier un livre consacré à la ville qui raconte l’histoire de la commune et mesure le temps parcouru. 

A person wearing a suit and tie

AI-generated content may be incorrect.

Compte officiel de Fabien Aufrechter sur TikTok

CT : Comprenez-vous les critiques qui sont faîtes aux réseaux sociaux et à TikTok en particulier ?

F. A : Oui, les réseaux sociaux sont des lieux de désinformation. Et c’est effectivement un gros enjeu, en particulier sur les jeunes générations qui ne s’informent quasiment plus qu’au travers de TikTok, Instagram ou YouTube. Il existe le risque que des récits soient réécrits et que cela soit pris pour argent comptant. Je pense que l’État a une énorme responsabilité sur ce sujet et qu’on devrait avoir une preuve de provenance pour chaque contenu qui circule sur les réseaux sociaux, même si son auteur utilise un pseudonyme. Cela permettrait de rendre Internet beaucoup plus sûr. 

En plus de cadres normatifs simples et solides, ce qu’il faut également, c’est de l’éducation, de la pédagogie. Sous ma casquette privée, j’en fait au quotidien auprès d’entreprises, en alertant sur les deepfakes*, les fake news ou à expliquer ce que l’IA peut apporter ou menacer. Mais le citoyen a aussi besoin de savoir cela. Il devrait y avoir toujours plus de sensibilisations sur ce sujet dans nos écoles. 

Cela étant dit, le débat à propos de TikTok ne peut pas être binaire, être « pour » ou être « contre », c’est irréaliste. Si on arrête l’application TikTok, les jeunes iront chercher du contenu sur une nouvelle plateforme du même style et ce sera peut-être pire. La question, c’est pourquoi vont-ils sur TikTok ? Parce que c’est unique, parce que le contenu est distrayant. Les gens qui s’informent sur TikTok vont chercher du contenu facile à consommer (pour ne pas dire à « snacker ») : on est dans une sorte d’addiction. C’est pourquoi je suis de ceux qui considèrent qu’au lieu d’interdire, on devrait plutôt faire en sorte que TikTok, Instagram, Facebook et autres Snapchat soient inondés de contenu de qualité et positifs. 

CT : Quel est votre principal enjeu en termes de communication aujourd’hui ?

F. A. : Il y a 36 000 maires en France donc pas facile d’émerger au-delà du local. C’est donc un peu triste mais pour y arriver, il faut faire le buzz. A chacun sa stratégie mais la mienne : j’essaie une fois par an de faire un petit coup médiatique en début d’année pour donner le ton de mes priorités de l’année. L’année dernière, au mois de janvier, j’avais présenté mes vœux en deepfake, ce qui a surpris, et j’ai joué sur cette attention pour communiquer sur certains sujets qui me tiennent à cœur.  Cette année, je l’ai fait en réalité augmentée et cela m’a donné beaucoup d’écho jusqu’à l’Association des Maires Ruraux.  

Il y a cette notion de « ticket d’entrée médiatique » qui à un moment va vous permettre d’être dans les grands médias. Les gens ne vont pas s’intéresser au simple maire de Verneuil. En revanche, c’est mon action qui va faire que l’on va s’intéresser à moi. Et c’est plutôt une bonne nouvelle que ce ne soit pas la parole qui soit performative mais l’action. Quand je me suis battu contre un projet qui allait vraiment détruire notre forêt, mon ticket d’entrée cela a été cette action. Je pense que s’il n’y a pas une action phare, quelque chose de fort qui marque les esprits, les gens ne s’intéressent pas à vous, et c’est normal. Une fois qu’on a ce ticket d’entrée, a un panel d’outils devient à disposition : influenceurs, médias mainstream et médias plus polémiques. 

CT : Vous mettez-vous des limites dans vos efforts de médiatisation ?

F.A : Au début de mon mandat, j’avais reçu une invitation pour un débat sur RT News : j’ai refusé. J’aurais sans doute touché de nouveaux publics mais hors de question de servir des intérêts qui ne sont pas ceux de mon pays, et qui ne correspondent pas à mes valeurs. Typiquement, je ne souhaite pas que mon image et ma parole soient utilisées pour me faire dire ce que je n’ai pas envie de dire. 

En miroir, ce qui est le plus dur à gérer pour les élus, je crois que c’est le redoublement de la violence contre eux. En la matière, la politique montre un visage de plus en plus néfaste : on ne s’en prend plus aux valeurs ou aux projets mais aux personnes. En particulier, ce que je trouve vraiment problématique, ce sont ces groupes sur les réseaux sociaux – sur Facebook notamment- qui peuvent véhiculer de fausses informations sans qu’il y ait de droit de réponse. 

Dans ma ville, cela dit, force est de constater deux choses : d’abord nous n’avons vraiment qu’un groupe problématique qui est piloté et inondé par des faux comptes détenus par très peu de personnes. Et tout le monde commence à savoir de qui il s’agit ce qui nuit de plus en plus à leur réputation plus qu’à la mienne… Deuxième chose : avec la campagne municipale qui se relance en septembre, tous les candidats auront droit au même « temps » de parole sur ce type de groupes qui sont assimilés à des médias…au-delà même de ma propre commune, je suis curieux de voir comment les propriétaires de ce type de groupes gèreront car à défaut, ils s’exposeront à de très lourdes sanctions. Ce sera d’ailleurs peut-être une manière d’en venir à bout ?

CT : Quelles autres formes de communication politique appréciez-vous ?

F. A : Je dois dire que je garde de bons souvenirs des débats en présentiel auxquels j’ai pu assister en Irlande et que j’ai voulu réinventer quand j’étais étudiant à la Sorbonne. En Irlande, au moment du référendum sur la légalisation de l’avortement, j’ai assisté à un débat entre une féministe et l’archevêque de Dublin. Bien entendu, ils n’étaient pas d’accord. Mais le débat a été possible ainsi que l’approfondissement des arguments de l’une et de l’autre. 

Mais débattre en France semble de moins en moins possible. Un exemple concret : l’entre-deux-tours en France pendant les campagnes présidentielles est un moment où nous sommes censé savoir le plus de vrais débats. Mais en réalité, on n’aborde que des thèmes très limités, souvent polémiques, et sans vraiment entrer dans les tous les aspects de la question. Il est rare par exemple qu’on débatte sur la politique étrangère ou sur le rôle de la tech. 

Je pense que c’est un créneau intéressant pour les influenceurs et les médias présents sur les réseaux sociaux parce que la télévision et la radio n’en proposent presque plus.

Il faut pouvoir néanmoins trouver la bonne durée pour chaque sujet et chaque format. Si je dois expliquer ce qu’est la blockchain, je ne vais pas le faire en trente secondes sur TikTok. Je pourrais le faire, mais les gens n’en sauront pas plus après. Et il ne s’agit pas non plus d’y passer deux heures car l’attention et les informations doivent pouvoir être retenues. En cela il faut ciseler les formats parce que les médias sont eux-mêmes des messages.

CT : Quel est le sujet que vous souhaitez pousser en priorité par exemple sur TikTok?

F. A : Sur TikTok, ma ligne éditoriale est claire : je parle de la fonction de maire. Cela me parait important parce que je crois qu’elle est largement méconnue. Or tout le monde habite quelque part où il y a un maire. Et il y a une vraie curiosité autour de cette fonction. C’est d’ailleurs pour cela qu’au-delà de TikTok, je suis toujours prêt à prendre part aux émissions qui me permettent d’en parler.

Pourquoi j’aime être maire ? Parce que le maire, c’est un exécutif. Ce qui est dit est fait. C’est de la parole presque performative. Des exécutifs, il y en a finalement très peu en politique : les maires, les ministres et le président de la République…alors que les parlementaires, par exemple, n’en sont pas. 

CT : Vous prenez également souvent la parole sur des sujets tech. Quels messages souhaitez-vous faire passer sur ces thématiques ?

F. A : Je n’aime pas mélanger mes casquettes. Mais nous avons parlé de TikTok et du manque de compréhension de la part de nombreux politiques quant à l’importance de ce réseau social. D’une manière générale, avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, je me demande s’il y a une prise de conscience suffisante de l’impact de cette transformation ? Tout le monde en parle, mais est-ce que notre société s’y prépare réellement ? 

Quand un sujet devient complexe, il faut des solutions simples. Ce n’est pas si difficile d’annoncer 109 milliards dédiés à l’IA,. Mais il faut suivre la concrétisation détaillée de tout cela. Avec moins d’un milliard d’euros par exemple, il aurait été par exemple possible de veiller à ce que Mistral reste français. Alors parfois je me demande en politique si ce qui est recherché c’est de l’image ou de l’efficacité.

En France, je n’ai jamais vu un homme politique qui ait vraiment une bonne connaissance et une vision globale des technologies. Encore récemment, une des plus grosses institutions françaises m’a envoyé un courriel en me disant qu’ils n’allaient pas utiliser la technologie blockchain parce que la blockchain n’était pas française. C’est ahurissant. Et Internet, c’est français ou pas ? Les décideurs de ce pays doivent avoir un minimum de culture sur ces sujets qui sont des enjeux d’ordre économique, géostratégique, sociologique. 

Or, comme je le disais précédemment, la plupart des députés ne sont pas formés à ces sujets. Et tous ne parlent par exemple pas anglais et ne peuvent donc même pas se former eux-mêmes, s’ils le souhaitaient, faute de contenus existants en français. Les seules formations dont ils bénéficient souvent, ce sont des formations gratuites proposées par des lobbyistes qui masquent plus ou moins leurs fonctions. C’est là un vrai enjeu d’indépendance et donc de souveraineté.

Et cela d’autant plus que personne ne peut être expert en tout. Sauf que nous avons de plus en plus besoins d’experts technologiques parmi nos décideurs. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être gérés que par des généralistes parce que nos décideurs doivent être en mesure de prendre des décisions stratégiques de manière éclairée, très en amont, pour favoriser l’émergence et l’accompagnement de l’innovation pour en faire un facteur continu de croissance. 

Mais là aussi, en France, nous avons une limite immense : nous sommes les experts en millefeuilles, bien au-delà même du millefeuille territorial. Pour garder le thème du numérique, nous avons pléthore de comités Théodule*. Prenons un exemple : est-ce raisonnable d’avoir un secrétariat d’État au numérique qui reporte au Ministère de l’Economie…mais qui n’a par exemple pas la main sur la transformation numérique de l’administration ; qui dépend, elle, d’un ministère de la Transformation et de la Fonction publiques ?

 Le problème c’est que les millefeuilles sont partout, au-delà des territoires et du numérique. Et finalement qui est-ce qui pilote tout cela de manière holistique ? Pour ainsi dire personne. Et cela au frais des contribuables qui pâtissent de cette inefficacité. Typiquement, selon moi, le numérique devrait être un sujet régalien, rattaché à un vrai ministère du numérique global et englobant ; même si le sujet rééquerrera toujours de l’interministériel. Idem pour les territoires et tant d’autres problématiques.

CT : Comment entendez-vous faire avancer ce sujet du numérique ?

F. A : Ma vision de la politique – et pas que de la politique d’ailleurs- c’est ce que les Romains appelaient le cursus honorum*. Autrement dit, il faut accepter de commencer en bas de l’échelle pour être ensuite plus à même de prendre des décisions avec une vision plus holistique. C’est ce qui confère pour moi ce que les américains appellent la « license to operate », autrement dit, la légitimité pour agir. 

Car et en politique, l’élection ou la nomination n’est pas une légitimité suffisante : un ministre des Territoires qui n’aurait jamais été élu local n’aurait pas de légitimité, par exemple.

Et bien de même pour ce qui est du numérique (qui n’est qu’un de mes sujets, par ailleurs), il devrait en être de même : nous avons besoin de personnalités qui ont des expériences internationales, qui sont indépendants et qui ont une vraie vision. 

Pour ma part, cela sera toujours un de mes nombreux combats. Mais encore une fois je veille à ne pas mélanger mes casquettes : j’aime ma ville et le maire que je suis est dévoué à Verneuil-sur-Seine. Mais oui, je suis passionné par les nouvelles technologies et l’innovation. Et mon métier me permet de disposer d’une petite expertise donc le jour où je pourrai être utile à mon pays sur ces sujets (ou sur d’autres d’ailleurs) je ne me déroberai évidemment pas.

* Le CELSA est une grande école au sein de Sorbonne Université qui forme aux métiers de la communication et du journalisme.

*Un deepfake est un enregistrement vidéo ou audio réalisé ou modifié grâce à l’intelligence artificielle.

*L’expression « comités Théodule » a été popularisée par le général de Gaulle dans les années 1960. Elle désigne les multiples commissions et comités créés sans efficacité réelle. En choisissant un prénom désuet et légèrement ridicule, il soulignait leur inutilité ou leur caractère peu sérieux.

*Le cursus honorum était un cheminement que les citoyens dans la Rome antique devaient suivre pour gravir les échelons du pouvoir et respecter un ordre précis des fonctions à occuper.