RIC et présidentielle 2022, le projet porté par Clara Egger, candidate à l’élection
6 avril 2022 • By Amina-MathildeNous avons questionné Clara Egger sur le projet qui a motivé sa candidature
Clara Egger est docteure en science politique à Sciences Po Grenoble, et professeure assistante en relations internationales (mondialisation et action humanitaire) à l’université de Groningen aux Pays-Bas. Ses travaux portent sur trois axes principaux : la démocratisation de la politique internationale, les politiques de gestion de crises et leurs impacts ainsi que la violence politique.
En 2019, elle soutient la revendication de certains Gilets jaunes en faveur du RIC, le référendum d’initiative citoyenne.
En 2021, elle participe au collectif citoyen Espoir RIC 2022, dont elle était la candidate à l’élection présidentielle de 2022 en vue d’instituer le RIC Constituant qui permet de modifier la constitution et d’en décider par référendum.
Civic Techno : Quel votre parcours et qu’est-ce qui vous a amenée à la campagne présidentielle 2022 pour porter le projet de RIC Constituant ?
Clara Egger : Pour ma part, j’ai grandi en zone rurale, en Ardèche, loin des centres de pouvoir et ai commencé par me former au travail humanitaire. Le fonctionnement bureaucratique et certaines contradictions que j’ai identifiées dans les ONGs lorsque j’y travaillais m’ont ensuite amenée vers le travail social destiné à mobiliser l’action citoyenne pour améliorer le quotidien des habitants. C’est la difficulté à aboutir à des résultats significatifs lors de ces démarches qui m’a poussée à reprendre des études et la recherche autour des questions de démocratie directe.
Mon premier poste après mon doctorat m’a amenée en Suisse et c’est là que j’ai pu voir le RIC fonctionner de manière physique, je dirais. Les pétitions, l’échange d’arguments sur les marchés, la politique partout, mais pas au sens politicien, pour moi, cela a été une vraie révélation. Dans le même temps, j’ai rencontré Raul Magni-Berton qui travaillait depuis longtemps sur le sujet dans une démarche analytique.
Au fur et à mesure de mes travaux, j’ai pu ainsi mesurer l’écart entre certains pays et la France en matière de contre-pouvoirs et de poids réel des citoyens.
Pour ce qui est de l’histoire collective de la candidature à la présidentielle française de cette année, il faut savoir qu’il y a une série de mouvements qui sont très actifs depuis longtemps sur la question du référendum d’initiative citoyenne. Parce qu’on l’oublie mais c’est une revendication qui date en France des années 80. Et d’ailleurs, en 1993, la plupart des candidats à la présidentielle avaient déjà inscrit le RIC dans leur programme. C’est dire que ce n’est pas nouveau.
Puis l’idée d’une candidature s’est affinée entre les différents groupes militant pour le RIC comme Article 3, Opération RIC ou bien encore avec l’appui de l’équipe suisse qui anime la chaîne « Démocratie d’abord », notamment Pierre-Alain Bruchez.
Et il nous a été proposé à Raul et à moi de porter cette candidature, moi comme candidate et lui comme idéologue et coordinateur de campagne. Après avoir hésité, je me suis dit que quelque part j’allais au bout de ma démarche puisque mes recherches et mes tribunes sont somme toutes dédiées à promouvoir la démocratie directe.
La finalité de notre collectif est d’instaurer à terme le référendum d’initiative citoyenne constituant et non de gouverner ou de légiférer et cet objectif peut être rempli par un autre candidat ou candidate que moi.
Civic Techno : Pourquoi estimez-vous que le RIC Constituant est nécessaire en France et quel est son principe ?
Clara Egger : Aujourd’hui en France seuls le gouvernement et les parlementaires peuvent proposer des lois. Or un député représente au mieux 80 000 citoyens. Et seul le président de la République peut lancer un référendum sur le sujet qu’il souhaite.
Ce que nous proposons c’est que chaque citoyen puisse potentiellement faire une pétition, rassembler 700 000 citoyens autour d’un projet de loi, tout ceci encadré juridiquement, et que cela puisse donner lieu à un référendum dont le résultat majoritaire soit contraignant le cas échéant.
Il ne suffirait que de réviser un seul article de la constitution, l’article 89, pour arriver à une vraie souveraineté populaire en permettant que les changements constitutionnels soient proposés soit par le président de la République, soit par les parlementaires ou soit par ces 700 000 citoyens et que ces changements soient uniquement approuvés par référendum (aujourd’hui les trois cinquièmes des parlementaires peuvent aussi le faire).
Le président de la République est censé être le gardien de la Constitution. Il se doit d’assurer l’équilibre des pouvoirs et le fonctionnement régulier des institutions. S’il constate, par exemple, que les débats parlementaires ont été expédiés et que l’opposition n’a pas eu le temps de jouer son rôle en proposant des amendements, il a le pouvoir de ne pas contresigner un texte et du coup, de renvoyer ou de rallonger un peu le temps d’examen parlementaire.
Or ce à quoi on assiste littéralement depuis plusieurs année c’est à un braquage de la Constitution par les présidents en fonction. Il n’y a plus vraiment d’arbitre en la personne du président dès lors qu’il ne représente qu’un camp politique car il n’est plus ni neutre ni lanceur d’alerte dans certains cas.
Et on constate que quand on perd cette fonction d’arbitrage, on perd aussi en qualité démocratique parce que le pouvoir se concentre sur une seule personne ou un seul groupe et les tensions s’exacerbent au sein de la société.
Aujourd’hui ce que l’on a c’est un système électoral qui non seulement favorise l’abstention mais qui donne les commandes à une majorité gouvernementale qui ne s’appuie que sur une minorité du corps électoral. Un sondage réalisé en 2017 demandait justement aux Français s’ils préféraient avoir un président d’une couleur politique et un premier ministre et une Assemblée nationale d’une autre sensibilité. Et à 60% les sondés ont répondu préférer cette distribution du pouvoir. Pourquoi ? Parce que c’est un système plus sain.
Civic Techno : Quels effets positifs et négatifs constate-t-on dans les pays où le RIC Constituant est en place ?
Clara Egger : Ce que l’on observe d’abord dans tous les pays qui utilisent le RIC Constituant, c’est d’abord une plus grande transparence et plus de moralisation de la vie politique avec une limite des mandats et des privilèges des élus.
L’autre effet positif, c’est une plus grande prise en compte de toutes les opinions.
Un individu qui sent que ses idées sont taboues va avoir tendance à se replier et à rechercher des personnes qui partagent ses mêmes points de vue, c’est ce que l’on constate aujourd’hui sur les réseaux sociaux.
Mais si une proposition de loi peut s’écrire après avoir reçu le soutien de 700.000 personnes, ce citoyen lambda est obligé de sortir de sa bulle et sait qu’il peut potentiellement peser sur le débat public avec les 699 000 autres citoyens qui partagent son point de vue.
La démocratie directe dans sa forme idéale a aussi une visée éducative. Quelles sont toutes les facettes d’une future loi et l’ensemble de ses conséquences ? Il faut que les citoyens puissent donner leur avis en connaissance de cause. Rassembler 700 000 signatures nécessite de fournir des explications à des citoyens de tous horizons et de toutes sensibilités, ce qui implique une large part de pédagogie et de débat.
Le RIC Constituant vise à obtenir l’avis de l’intégralité des citoyens. Dans un système qui permet le RIC, même si les manipulations existent, sondages, campagnes d’influence sur les réseaux sociaux, le travail des lobbies est rendu plus compliqué car ceux-ci préfèrent les systèmes au pouvoir concentré plus facile à « travailler » dans le secret des alcôves et des cabinets ministériels.
Et quand un mouvement citoyen perd un référendum, il a toujours la possibilité de retravailler sa proposition et de la relancer derrière. Donc c’est quelque chose de lent, d’itératif.
Concernant les effets potentiellement négatifs du RIC, je dirais sans les balayer d’un revers de main, qu’ils font partie de la beauté brute du RIC, de sa vérité et que les écueils qu’il représente peuvent être évités si le RIC est bien pensé.
Le risque que d’aucuns avancent est le celui du populisme avec une tentation de transformer le référendum en plébiscite ou rejet et de paralysie de l’État. C’est vrai que le RIC a une puissance de transformation réelle et c’est cette capacité qui fait que les gouvernements l’ayant adopté sont de fait plus vertueux car ils la craignent. Toutefois on se rend compte que les pays ayant adopté le RIC sont dans l’ensemble des pays modérés, avec moins de tensions sociales et où les libertés publiques sont plutôt bien garanties.
L’autre objection qui est avancée contre le principe du RIC est qu’il affaiblit la démocratie représentative, le Parlement. Mais on peut aisément imaginer que le travail de maturation d’un projet de loi qui serait soumis à référendum se fasse en concertation avec les députés et les sénateurs. Après tout, ceux-ci sont censés être au service du peuple. Mais en revanche, les parlementaires ne doivent pas pouvoir interférer sur la décision prise à l’issue du référendum.
Enfin, il ne s’agit pas non plus d’être en permanence en campagne car le rythme et les sujets de référendums peuvent être choisis par les citoyens. Préparer un projet de loi soumis à référendum demande du temps, de l’engagement et de l’argent pour son organisation. Il faut que « cela en vaille le coup ».
« Notre programme est simple, clair et précis, afin qu’il puisse être facilement repris par les autres partis politiques et trouver victoire même si notre candidate Clara Egger n’accède pas à la présidentielle. Notre projet cherche à unir et invite donc les autres candidats à mettre en place notre programme en complément des leurs. »
Copies d’écran du site de campagne « https://www.espoir-ric.fr »
Civic Techno : Le RIC constituant ayant une visée nationale et la France étant un pays très centralisé, qu’est-ce qui devrait convaincre les élus locaux de le considérer favorablement ?
Clara Egger : Ce que l’on constate dans les pays qui ont instauré des RIC Constituants c’est que davantage de réformes de décentralisation ont été mises en place et que plus de pouvoirs ont été donnés aux communes.
Les maires devraient également le voir comme un outil permettant que la politique passe enfin du bas vers le haut et facilitant leur travail au service de leurs administrés.
La préparation des RIC génère concrètement de la concertation avec les élus au niveau local, ce qui renforce leur poids ainsi qu’une forme de légitimité partagée avec les habitants dans le processus.
Quand on échange avec des maires, ils sont souvent d’accord avec nous mais la réalité c’est que beaucoup d’entre eux ont peur de parrainer pour ne pas se mettre à dos une partie des citoyens, leur région, un parti ou le gouvernement. Il faut savoir que seuls 28% des maires parrainent.
Or le RIC peut servir un élu, quelle que soit sa sensibilité, par la légitimité que le mode direct lui confère et en renforçant son rôle de référent local de la bonne marche démocratique.
Les citoyens peuvent d’ailleurs utiliser le RIC Constituant pour donner davantage d’autonomie aux collectivités locales et les élus locaux peuvent comme tout citoyen appeler à des réformes de nos institutions et appeler les citoyens à les soutenir pour les faire advenir.
Civic Techno : Le Brexit a été déclenché suite à un référendum ouvert à tout le corps électoral britannique et n’a pas dégagé une majorité claire alors que ses conséquences ont eu un impact considérable sur la marche du pays. Comment le RIC Constituant que vous appelez de vos vœux avec 700 000 participations, 1,7% du corps électoral, peut-il être assez représentatif d’une volonté commune ?
Clara Egger : Le Brexit, ce n’est pas un référendum d’initiative citoyenne mais un référendum d’initiative gouvernementale, c’est à dire que le gouvernement a posé la question et lancé le référendum avec des visées de politique interne. Le gouvernement ne s’attendait pas à une majorité de « oui ». Que s’est-il-passé ? En fait les citoyens ont voté pour d’autres raisons que pour répondre à la simple question posée et beaucoup d’entre eux l’ont fait avec l’intention de sanctionner le gouvernement. Et puis il n’y a pas vraiment eu de réel travail préparatoire et de débats de fond sur le terrain, à part des confrontations de points de vue très affirmés autour d’un nombre limité de sujets liés à l’impact du Brexit.
Dans le cas du RIC Constituant, il s’agit moins d’obtenir une large majorité, ce qui peut arriver sur certains sujets consensuels que de faire entendre tous les courants qui traversent la société.
La difficulté bien entendu une fois ces 700 000 votes réunis est ensuite de convaincre la majorité des électeurs de voter « oui ». En Suisse, on estime que lors des référendums d’initiative constituants le « oui » ne gagne que tous les 12 ans environ. Pourquoi ? Cela peut être parce que les conséquences du référendum paraissent incertaines aux votants ou que le changement induit est perçu comme trop drastique.
Et ce que l’on voit c’est qu’un sujet complexe peut avancer et évoluer dans le temps par étapes et référendums successifs.
Avec le RIC Constituant les droits des minorités sont plus affirmés, la majorité sait qu’on ne peut pas ignorer les opinions alternatives, aucun sujet ne se retrouve enterré tant que plus de 700 000 personnes ont la capacité de le rapporter devant les urnes et les élus se doivent de prendre en considération les divers courants d’opinion.
Le RIC Constituant est par ailleurs le seul outil démocratique qui permet d’instaurer tous les autres : RIC législatif, RIC veto, Assemblées Citoyennes tirées au sort, Proportionnelle, prise en compte du vote blanc, etc.
Civic Techno : Pouvez-vous nous parler des outils numériques et des processus complémentaires permettant de faire participer les citoyens au RIC quel que soit leur degré de connectivité ?
Clara Egger : Il existe de nombreux dispositifs numériques permettant la participation citoyenne et la démocratie délibérative. La pandémie a ainsi favorisé en ligne l’essaimage d’initiatives diverses à visée solidaire, ce qui a accéléré l’adoption de ces outils par les citoyens.
Nous suivons nous-mêmes cette tendance. Notre campagne actuelle est principalement numérique alors que quand l’équipe de campagne s’est formée nous ne nous retrouvions que physiquement.
Les citoyens doivent pouvoir continuer de se rassembler en présentiel et pour ce qui est du numérique ce qui compte c’est que l’outil et le processus soient fiables. Les débats et le vote numérique doivent être favorisés mais je ne pense pas qu’il faille passer au tout digital, je dis cela car chacun doit se sentir en confiance et pouvoir s’exprimer de la manière qui lui convient le mieux, en ligne ou en présentiel. Il faut que le processus permette une grande souplesse de ce côté-là, tant que le contrôle de la validité du vote est assuré.
Médiatiquement, on constate que l’on est surtout invités sur des supports et des émissions en ligne.
Civic Techno : Au-delà du RIC Constituant souhaitez-vous porter d’autres sujets dans cette campagne et qu’envisagez-vous après l’élection ?
Clara Egger : Pour ma part, je suis pour que chacun(e) puisse défendre ses options, les mettre sur la table, et porter sa proposition qu’il ou elle fasse partie d’une minorité ou non, donc je ne tiens pas à pousser d’autres thèmes.
Une candidature RIC ne peut donc pas être fondée sur un programme partisan car son objectif premier est d’élargir le champ de la démocratie directe sur tout le spectre politique.
J’aime bien dire que notre mouvement a les meilleurs militants du monde parce que ce sont des gens de toutes catégories socio-professionnelles et de tous bords politiques et qui sont prêts à entrer dans le compromis. Le fait de pouvoir dialoguer et décider individuellement tend à affaiblir les opinions très extrêmes car les arguments des uns et des autres finissent par s’entendre.
Alors, nous allons continuer de sensibiliser l’opinion publique, les médias, les élus et les politiques car plus le RIC obtiendra d’adhésion, plus les autres candidats seront susceptibles de reprendre notre proposition afin d’obtenir notre soutien.
De notre côté, dans la mesure où notre proposition est reprise avec plus de chances de l’emporter, nous nous engagerons à soutenir cette candidature.
Au-delà de l’élection, je continuerai de porter ce projet politique tout en poursuivant mes recherches et mes activités d’enseignante. Cet été aux Editions Ma Liberté on va d’ailleurs sortir avec une autre chercheuse, Laurence Morel, un ouvrage qui rassemble une quarantaine de contributions de chercheurs de nombreux pays, dont nous-mêmes, sur la question de la démocratie directe.
Notre projet de RIC Constituant porte l’espoir et il ne va pas s‘essouffler de sitôt car il va tout simplement dans le sens de l’histoire.
* Depuis cet entretien, Clara Egger et son mouvement Espoir RIC 2022 ont annoncé soutenir le candidat Jean Lassalle après avoir déclaré qu’il engageait ses biens propres pour le RIC Constituant.
Références :
Le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous – Raul Magni-Berton, Clara Egger, Fyp Editions
Pour que voter serve enfin, Manifeste pour une transition démocratique – Clara Egger, Talma Studios Edition
Propos recueillis par Amina-Mathilde N’Diaye, consultante en communication politique, spécialisée dans les civic tech et éditrice du média Civic Techno